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Les poèmes de Blanche Maynadier

LES CHEVAUX AU TEMPS DE MES DIX ANS (1933)

15 Janvier 2021 , Rédigé par MARTIAL PIERRE

Extrait de L’école des Champs de Blanche Maynadier

Dès que j’eus dix ans, et que je fus assez forte pour lancer le collier au dessus du cou d’un cheval, j’attelais et je dételais. Je m’occupais des chevaux les plus faciles, la Biche, puis Tarlot, gentil cheval sans histoire. Je ne touchais pas à la Mignonne de plus en plus mordeuse et hargneuse… Comme cette bête était nerveuse et turbulente, il lui arrivait de se détacher et quand mon père n’était pas là,  pour nous, c’était toujours un drame. Elle se promenait dans l’écurie et se plantait devant la demi-porte, nous interdisant d’entrer.

                Mon père, lui, la remettait vite à sa place ; un jour qu’il devait rentrer très tard le soir, il me fallut faire face seule.

         J’avais deux veaux à faire boire et maman devait traire les vaches. Impossible de faire revenir dans son box la Mignonne qui s’était encore détachée,  elle restait à la porte pour nous narguer. Je partis prévenir mon cousin Louis Cretin, qui avait à peine dix-huit ans. Il connaissait la bête… Il voulut bien essayer de la ré-attacher. A l’aide d’un bâton il parvient à lui faire regagner l'écurie et pendant qu’il se tient derrière elle pour l’empêcher de reculer,  je lâche la Biche qui va dans la cour. Nous aurons plus de place pour manœuvrer. Mon cousin à l’aide d’un grand crochet, attrape la Mignonne par son licou, lui tient la tête dans la mangeoire et moi j’arrive à passer le mousqueton dans l’anneau, puis je me sauve. Louis retire son crochet. Quand elle essaie de le mordre, il est déjà loin de sa gueule. Nous poussons un ouf de soulagement. On acheta un autre mousqueton qu’elle ne pouvait plus défaire seule.

         Cette bête me donnait des sueurs froides ; c’était toujours papa qui s’occupait d’elle. Quand à Rigadin si grand, si bête, je ne l’aimais guère, je ne partais jamais seule avec lui. Il m’a bien souvent écrasé les « attiots » (les doigts de pieds), tandis que la Biche, elle,  regardait toujours où elle posait ses sabots, tout au moins ceux de devant ! On était frappé de sa délicatesse quand on plantait un champ de pommes de terre. Nous plantions à la charrue, je labourais avec mon père et dans chaque sillon ma sœur déposait un plant tous les trente-cinq centimètres. Pour faire un nouveau sillon, les autres chevaux passaient sur le précédent déjà planté, ils écrasaient ou enfonçaient les plants. Seule la Biche faisait attention où elle mettait les pieds. Elle essayait d’éviter les plants ;  mais comme ceux-ci ressemblaient à des cailloux sur le sol noir, elle faisait peut-être cela moins pour épargner notre plantation que pour éviter de se blesser sur des pierres… Elle resta muette à ce sujet.

        

Il me revient en mémoire en parlant de mes chevaux, une histoire qui fit du bruit dans le village.

         Un jour, un cultivateur avait arrêté sa voiture attelée d’une vieille jument devant l’école, où se tenait la bascule municipale. Au moment de repartir, ce paysan juché tout en haut de sa voiture de paille, dit « hue » à son cheval. D’habitude très obéissant, celui-ci ne réagit pas. Il lui tape sur le dos avec les rênes et se met à lui crier après. Le cheval ne bouge toujours pas. L’instituteur entendant du bruit vient voir ce qui se passe. La pauvre bête se laissait battre et maudire plutôt que d’écraser un enfant, le fils de l’instituteur, un bambin de dix-huit mois, assis sur la route, devant ses pattes. Ce n’était pas notre Rigadin qui aurait fait cela, lui, il aurait écrasé tout un régiment.

        

Je crois que c’est à cette occasion que mon père me raconta une autre belle histoire qui avait rapport aussi à l’intelligence ou à l’instinct des chevaux. Une belle jument avait été vendue pour… qu’importe la raison ! Elle avait quitté la ferme pour un autre village. Un an après, alors qu’elle était grosse, elle avait déserté la maison de son nouveau maître pour revenir chez son ancien propriétaire et faire là son poulain. Cela se passait à Tavaux dans une vieille ferme près de la gare…

        

 Revenons à mes dix ans et à mes chevaux : le sujet me semble inépuisable.

Très souvent il fallait s’occuper de leurs blessures. Ils portaient tous des colliers bourrés de crin faits sur mesure, mais pendant les grandes chaleurs, et aux endroits de frottements, en particulier aux épaules, il se produisait des plaies mettant la chair à nu. Il fallait plusieurs fois par jour y mettre des pommades.

        

Dans le courant de l’été, on badigeonnait les chevaux au « chasse-mouches », liquide marron huileux qui sentait très mauvais, mais qui les préservait un peu des piqûres des mouches et surtout des taons que nous appelions alors des « tavins ». J’ai connu un homme au village qui mangeait les têtes de ces grosses mouches en disant que c’était très bon et que ça donnait des forces.

         Ma sœur Geneviève, du haut de ses  huit ans nous voyait badigeonner les chevaux avec ce liquide marron qu’elle devait prendre pour de la peinture. Un jour qu’elle était seule dans la cour, elle prit le pinceau trempant dans cette mixture et peignit avec application un beau baromètre thermomètre monté sur du bois verni clair. Elle croyait bien faire en le peignant avec le chasse-mouches. Elle avait dû aussi s’exercer sur la porte de la grange à défaut de pouvoir badigeonner les chevaux. Elle fut surprise de recevoir bien des reproches alors qu’elle attendait des compliments. Aujourd’hui elle peint encore sur bois et fait de la pyrogravure mais c’est une autre histoire.

        

Je pourrais encore vous raconter bien d’autres histoires de chevaux, mais je préfère les regrouper toutes, dans un prochain chapitre où j’évoquerai tous les chevaux de mon enfance.

 

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