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Les poèmes de Blanche Maynadier

LE PAIN ET LE BEURRE

9 Juillet 2018 , Rédigé par MARTIAL PIERRE

Un extrait de l'école des Champs (édition Collection Le Parc)  comme un poème en prose, poème vivant du temps passé, du temps vécu du temps "éternisé"...

 

 

Chaque samedi est un jour de fête. Ma grand-mère fait le pain. Pendant notre sommeil, elle a pétri dans la grande maie sombre (qu'on appelle aussi la huche ou le pétrin) la quantité nécessaire de farine mélangée au levain, à l’eau et au sel, pour faire le pain de la semaine.

 

Elle enfourne de grosses miches rondes dans le four à pain. Auparavant elle l'a chauffé avec des fagots de bois, enfoncés en entier dans sa gueule béante. Puis, elle a retiré la braise encore rouge et les cendres. Elle met chaque boule de pâte fermentée sur " la pelle " : c'est une plaque de bois au bout d'un long manche. D'un coup sec, elle retire la pelle, et la miche est en bonne place. En général elle fait six à huit miches, il en faut pour toute la famille.

 

Chaque fois qu'elle fait une "fournée " elle garde, dans un saladier de grès, de la pâte qui servira de levain pour la prochaine fois. Souvent, des voisins viennent chercher un peu de cette pâte fraîche quand leur levain est "mort".

Quand les miches sont enfournées,  elle nettoie le pétrin avec une spatule. Il reste toujours un peu de pâte dans les coins. Elle en fait une petite boule, puis un boudin, qu'elle soude aux deux bouts pour faire notre "couronne ". Elle la place en dernier dans le grand four, de temps en temps elle entrouvre la petite lucarne au centre de la porte du four, pour voir où en est  la cuisson des grosses miches.

 

Ma sœur et moi, six et quatre ans, attendons sagement, assises sur le seuil en pierre de la cuisine, que notre "gâteau" soit prêt. A mesure que le pain cuit, il se dégage une bonne odeur que nous respirons avec ravissement. A cette odeur, nous contrôlons la cuisson. Nous suivons tous les mouvements de ma grand-mère.  Parfois elle jette un coup d'œil en entrouvrant légèrement la porte du four.

Enfin, elle enfile sa main dans cette gueule sombre et brûlante et d'un geste vif, elle attrape notre couronne qui cuisait beaucoup plus vite que les miches et, comme à son habitude elle accroche notre pain au loquet du volet pour qu'il refroidisse un peu. Il craque encore de la chaleur du four. Pendant ce temps, ma grand-mère va à son buffet prendre quelques morceaux de sucre.  Elle décroche la couronne et la partage en deux. Notre sucre dans une main et le pain chaud dans l'autre, nous partons vite nous rasseoir sur le seuil et nous nous régalons! Ce pain tout chaud valait pour nous les plus fines pâtisseries car, en sortant de ce vieux four, il avait une odeur particulière et délicieuse.

 

Un autre régal de mon enfance, c'était chaque soir, de boire au seau, le lait tout frais tiré, tiède et mousseux, sentant la vache. Mon grand-père le portait chaque matin à la laiterie quand je dormais encore. Sur celui du soir, on prélevait la crème qui servait à faire le beurre.

  Toutes les semaines,  j'étais de corvée de beurre, je revois ma grand-mère préparer sa baratte. Elle va chercher à la cave une jatte remplie de crème, elle ouvre la baratte ( que je revois encore : petit tonneau de bois avec des ferrures jaunes et brillantes ).Elle y fait couler la crème épaisse, referme la petite porte et me confie l’engin.

 

 J'ai quatre ans, et je fais le beurre.

 

Je dois tourner la manivelle qui se trouve à l'extrémité du tonnelet posé à l'horizontal sur un chevalet. Longtemps je tourne cette manivelle. La fabrication du beurre me semble interminable et pénible car il faut que je reste là, debout à tourner sans cesse. Quand je sens de la résistance, j'appelle ma grand-mère. Elle tourne encore un peu, ouvre la porte avec précaution et si le beurre est pris elle plonge sa main dans la baratte et en ressort une masse jaunâtre granuleuse, c'est le beurre. Elle le met dans un grand seau d'eau froide et de ses deux mains le pétrit et le lave. Elle en fait des boules et les enveloppe dans de grandes feuilles de choux. Ensuite elle les porte à la cave. Puis, elle récupère le "battun" et me laisse en boire autant que je veux ; j'aimais ce "jus du beurre ".  Le reste sera ajouté à la nourriture des cochons.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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